Pourquoi nous pétrarquisons tous


On ne peut que s’étonner de la rareté de l’utilisation du verbe « pétrarquiser » tant il décrit à la perfection nombre d’amours adolescents et même adultes. Pétrarque, dont le terme est issu, se fit connaître pour la beauté et la profondeur de ses sonnets. La plupart étaient dédiés à Laure, aïeule du marquis de Sade, qu’il encensait. Si cet amour, qui dura près de trente ans (dont dix posthumes à la muse), resta platonique, il n’en demeure pas moins éternel. 

Aujourd’hui, on parle parfois de « coup de foudre » pour définir ce qui naguère ensorcela Pétrarque. Ce n’est pourtant pas toujours socialement accepté. Dans une hypocrite société pourtant centrée sur le paraître, il serait superficiel de tomber amoureux dès la première rencontre. Le terme serait d’ailleurs usurpé : on parlerait d’amour au lieu de désir, pour le légitimer. Ces ardents défenseurs de l’amour véritable, celui qui bourgeonne à mesure que l’on côtoie quelqu’un oublient sans doute qu’il est aveugle.. Ce dernier adjectif semble d’abord appuyer la thèse de ces puristes, mais il suggère, selon moi, que les sentiments amoureux ne tiennent pas compte de la réalité. Quel soupirant serait assez malhonnête pour se déclarer objectif ? Si ce postulat redore l’image du pétrarquisme, on ne saurait résumer les sentiments amoureux à une  simple attirance. Une personne physiquement présente offre plus que de la chair à toiser mais une aura. Un aperçu, certes plus ou moins fidèle, de par ses vêtements, sa coiffure, sa démarche, son allure, sa voix, de son essence propre.

C’est sur cette esquisse que l’imagination humaine bouillonne et érige l’autre souvent bien au delà de ce qu’il est vraiment. Si tous n’écrivent pas de sonnets aussi mémorables que le poète couronné de lauriers, on peut bien parler de pétrarquisme.
L’état peut être momentané comme durer toute une vie. On peut s’y complaire comme Pétrarque, et peut-être réussir à atteindre le bonheur avec ses propres projections comme le pensent les lithromantiques qui refusent les aboutissements que l’on attendrait de sentiments amoureux : rapprochements, vie à deux, famille …

Mais on peut aussi décider de sortir du pétrarquisme en confrontant son idéal à la réalité. Cela paraît tomber sous le sens, mais quel courage que de prendre le risque de détruire une projection ! D’autant que le pétrarquisé séduit difficilement. Sa fascination entraîne des effets secondaires plutôt rebutants : rougissements, bégaiements, insomnies, pertes d’appétit et, dans certains cas extrêmes, vomissements.

Chers pétrarquisés, vous n’êtes pas seuls. Ne vous dévalorisez pas comme il est tentant de le faire : ce qui vous arrive vous semble peut-être irrationnel et honteux mais, au contraire, cet amour inattendu et incontrôlable se révèle d’une humanité touchante. Ecoutez David Gelerneter, professeur d’informatique à Yale, lorsqu’il affirme que jamais les robots ne seront capables de « recréer la subjectivité ». Même si cela ne tranquillisera sûrement pas les amoureux transis; le pétrarquisme, en plus de sa noblesse et de sa beauté, fait partie des rares spécificités humaines dont nous pouvons être fiers.




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